Ce n’est point une nécessité qu’il y ait du sang et des morts dans une tragédie […] Il y en a qui pensent que cette simplicité est une marque de peu d’invention. Ils ne songent pas qu’au contraire toute l’invention consiste à faire quelque chose de rien […]
JEAN RACINE – Préface à Bérénice
Les Français ne sont pas naturellement coloristes. Le gris en toutes choses est leur nuance favorite; habitués aux tons froids de la pierre, ils redoutent dans l'architecture les teintes variées des marbres dont les Italiens font un si heureux usage; la couleur, pour tout dire, leur semble de mauvais goût, comme si dans la nature elle n'était pas toujours unie à la forme, et ils préfèrent, au risque de beaucoup d'ennui, une teinte abstraite et neutre, qui laisse prédominer la ligne.
THÈOPHILE GAUTIER - Souvenirs de théâtre, d'art et de critique, La vente Jollivet
En France, l'esprit étouffe le sentiment. De ce vice national procèdent tous les malheurs que les arts y éprouvent. Nous comprenons à merveille l'art en lui-même, nous ne manquons pas d'une certaine habileté pour en apprécier les œuvres, mais nous ne les sentons pas.
Et dès lors on pourrait croire que, m'étant formé certaines opinions sur le roman actuel, sur son évolution, son contenu et sa fome, je me suis, un beau jour, efforcée de les appliquer, en écrivant mon premier livre, Tropismes, et les livres qui l'ont suivi.
Rien n'est plus erroné qu'une telle opinion. [...]
Le style (dont l'harmonie et la beauté apparente est à chaque instant pour les écrivains une tentation si dangereuse), n'est pour lui qu'un instrument ne pouvant avoir d'autre valeur que celle de servir à extraire et à serrer d'aussi près que possible la parcelle de réalité qu'il veut mettre au jour. Tout désir de faire du beau style pour le plaisir d'en faire, pour se donner et pour donner aux lecteurs des jouissances esthétiques, est pour lui proprement inconcevable, le style, à ses yeux, ne pouvant être beau qu'à la façon dont est beau le geste de l'athlète: d'autant plus beau qu'il est mieux adapté à sa fin.
NATHALIE SARRAUTE – L'ère du soupçon – Préface + Ce que voient les oiseaux p. 139
Ce à quoi Buffon tenait avant tout en écrivant, c'était à la suite, au lien du discours, à son enchaînement continu. Il ne pouvait souffrir ce qui était haché, saccadé [...]
CHARLES AUGUSTIN SAINTE-BEUVE - Causeries du lundi, 21 juil. 1851
Or, les historiens récents de la civilisation allemande considèrent qu'il est faux de parler de classicisme dans un pays qui, pour diverses raisons, notamment politiques et sociales, n'avait pas encore réussi à créer un mouvement comparable à celui de l'Italie ou de la France. Ils adoptent l'appellation de «baroque» pour une littérature qui, comme les arts plastiques, se caractérise par une ornementation surchargée, par un mouvement violent, destructeur de lignes, par le goût de l'antithèse et du contraste. Ils l'appliquent à la littérature du xviie siècle, qui se dissout, au début du xviiie dans le rococo, et dont le développement est entravé par le morcellement du pays et par la Guerre de Trente ans.
JEAN-FRANÇOIS ANGELLOZ - La Littérature allemande, p. 18