La difficulté est une monoye que les sçavans employent, comme les joueurs de passe-passe, pour ne descouvrir la vanité de leur art, et de laquelle l'humaine bestise se paye ayséement.
MICHEL DE MONTAIGNE – Livre II – Apologie de Raimond Sebond - p. 174
[...] on se paye de mots que l'on n'entend pas, et l'on se figure être des génies transcendants.
FRANÇOIS RENÉ DE CHATEAUBRIAND - Mémoires d'outre-tombe, t. II, p. 204.
[...] Laurence avait [...] ce pouvoir inexplicable qui impose toujours, même quand il n'est qu'apparent, car chez les sots le vide ressemble à la profondeur. Pour le vulgaire, la profondeur est incompréhensible. De là vient peut-être l'admiration du peuple pour tout ce qu'il ne comprend pas.
HONORÉ DE BALZAC, Une ténébreuse affaire, Pl., t. VII, p. 482
Tief sein und tief scheinen. - Wer sich tief weiß, bemüht sich um Klarheit; wer der Menge tief scheinen möchte, bemüht sich um Dunkelheit. Denn die Menge hält Alles für tief, dessen Grund sie nicht sehen kann: sie ist so furchtsam und geht so ungern ins Wasser.
(Être profond ou le paraître. - La profondeur, la vraie, aspire à la clarté, et ne se reconnaît point, comme il semble aux yeux du vulgaire, à une certaine obscurité. Car pour le vulgaire est profond tout ce dont on ne voit pas le fond. Et les âmes craintives répugnent à sonder les eaux troubles.)
FRIEDRICH NIETZSCHE - Die fröhliche Wissenschaft 173 p. 500
Ah ! Monsieur Lysidas, vous nous assommez avec vos grands mots… Pensez-vous qu'un nom grec donne plus de poids à vos raisons ?
MOLIÈRE - Critique de l'École des femmes, 6
Das Fremdwort imponiert, es imponiert um so mehr, je weniger es verstanden wird; in seinem Nichtbegriffenwerden beirrt und betäubt es, übertönt es eben das Denken.»
(Le «Fremdwort», le mot savant en impose, il en impose d’autant plus qu’il est moins compris; et par cette incompréhension il fourvoie, il étourdit, c’est la pensée même qu’il assourdit.)
VIKTOR KLEMPERER in LTI Sprache des dritten Reiches - p. 324
Le maniement et emploite des beaux espris donne pris à la langue, non pas l’innovant tant comme la remplissant de plus vigoreux et divers services, l’estirant et ployant. Ils n’y aportent point des mots, mais ils enrichissent les leurs, appesantissent et enfoncent leur signification et leur usage, luy aprenent des mouvements inaccoustumés, mais prudemment et ingenieusement. Et combien peu cela soit donné à tous, il se voit par tant d’escrivains françois de ce siecle. Ils sont assez hardis et dédaigneux pour ne suyvre la route commune; mais faute d’invention et de discretion les pert. Il ne s’y voit qu’une miserable affectation d’estrangeté, des déguisements froids et absurdes qui, au lieu d’eslever, abbattent la matiere. Pourveu qu’ils se gorgiasent en la nouvelleté, il ne leur chaut de l’efficace; pour saisir un nouveau mot, ils quittent l’ordinaire souvent plus fort et plus nerveux.
MICHEL DE MONTAIGNE – Livre Troisième – Ch. V (Sur des vers de Virgile) p. 88
Comme aux acoustremens, c'est pusillanimité de se vouloir marquer par quelque façon particuliere et inusitée; de mesmes, au langage, la recherche des frases nouvelles et de mots peu cogneuz vient d'une ambition puerile et pedantesque.
MICHEL DE MONTAIGNE - Livre Premier – Chap. 26 (De l'institution des enfans) p. 220
[...] dans toutes les sciences on a eu la petite vanité d'imposer des noms fastueux aux choses les plus communes.
VOLTAIRE - Des singularités de la nature, VII
Si le goût les bannit [les mots techniques] des ouvrages purement littéraires, c'est parce que l'affectation de science blesserait ou la délicatesse ou l'orgueil des lecteurs; c'est qu'ils y répandraient plus d'obscurité qu'ils n'y mettraient de précision.
CONDORCET – Cinq mémoires sur l'instruction publique – p. 121
Quiconque veut se résoudre à lire ces lettres doit s'armer de patience sur les fautes de langue, sur le style emphatique et plat, sur les pensées communes rendues en termes ampoulés.
JEAN-JACQUES ROUSSEAU – Julie ou la Nouvelle Héloïse, Préface de la 1re éd., p. 5
Den deutschen Schriftstellern würde durchgängig die Einsicht zu Statten kommen, daß man zwar, wo möglich, denken soll wie ein großer Geist, hingegen die selbe Sprache reden wie jeder Andere. Man brauche gewöhnliche Worte und sage ungewöhnliche Dinge: aber sie machen es umgekehrt. Wir finden sie nämlich bemüht, triviale Begriffe in vornehme Worte zu hüllen und ihre sehr gewöhnlichen Gedanken in die ungewöhnlichsten Ausdrücke, die gesuchtesten, preziösesten und seltsamsten Redensarten zu kleiden.
ARTHUR SCHOPENHAUER – Parerga und Paralipomena [Nebenwerke und Zurückgebliebenes] – Zweiter Teilband – Ueber Schriftstellerei und Stil – p. 570
- Mais bien entendu, voyons, c’est un monstre, dit Mme de Guermantes à un regard interrogatif de sa tante. C’est une personne impossible: elle dit plumitif enfin des choses comme ça.
- Qu’est-ce que ça veut dire plumitif?, demanda Mme de Villeparisis à sa nièce.
- Mais je n’en sais rien ! s’écria la Duchesse avec une indignation feinte. Je ne parle pas ce français-là.
MARCEL PROUST – Le côté de Guermantes – Tome Premier p. 288
The ordinary citizen is struck dumb with awe when he is told about gold reserves, note issues, inflation, deflation, reflation, and all the rest of the jargon. He feels that anyone who can converse glibly about such matters must be very wise, and he does not dare to question what he is told.
BERTRAND RUSSEL – In Praise of Idleness – p. 50
Ce qui fait que le monde me trompe par ses perspectives, ses brouillards, ses chocs détournés, c’est que je consens, c’est que je ne cherche pas autre chose. Et ce qui fait que le tyran est maître de moi, c’est que je respecte au lieu d’examiner.
ALAIN – Propos sur les pouvoirs n°139
Je veux que les choses surmontent et qu'elles remplissent de façon l'imagination de celuy qui escoute, qu'il n'aye aucune souvenance des mots.
MICHEL DE MONTAIGNE – Essais - Livre premier, chapitre XXVI, p. 219
Comme une ancienne et longue habitude nous a parfaitement familiarisé avec les signes écrits ou parlés, toute notre attention se concentre ordinairement sur les idées; et quoique nous n'en prenions connaissance que par le moyen des mots ou des caractères qui les représentent, ceux-ci disparaissent complètement, ou la perception en est devenue si légère, qu'elle est effacée aussitôt que produite.
MAINE DE BIRAN - Influence de l’habitude sur la faculté de penser (1799) – 173
Le mot le plus nu, mis en bonne place, fait bien plus d'effet que le terme rare.
JACQUES DE LACRETELLE, cité par André Maurois, Études littéraires, t. II, p. 221
Les œuvres les plus belles sont celles où il y a le moins de matières; plus l'expression se rapproche de la pensée, plus le mot colle dessus et disparaît, plus c'est beau.
GUSTAVE FLAUBERT - Correspondance, t. II, p. 71
En réalité, l'art de l'écrivain consiste surtout à nous faire oublier qu'il emploie des mots.
HENRI BERGSON – L'énergie spirituelle – L'âme et le corps– p. 45
Pour que le sujet d'un roman se montre à nous dans sa nouveauté, encore faut-il que la langue en soit assez neutre pour ne point attirer sur elle l'attention.
JEAN PAULHAN - Les Fleurs de Tarbes, p. 161
Ce qui n'est pas clair n'est pas français.
ANTOINE DE RIVAROL -De l'universalité de la langue française
Ne pas oublier que la seule qualité à rechercher dans le style est la clarté.
STENDHAL - Journal, p. 25
La clarté est la bonne foi des philosophes.
LUC DE CLAPIERS, marquis de VAUVENARGUES - Réflexions et Maximes, 372
La clarté des textes est un signe de l'honnêteté des esprits.
ANDRÉ MAUROIS - Études littéraires, t. II, Duhamel, iv, p. 111
La netteté est le vernis des maîtres.
LUC DE CLAPIERS, marquis de VAUVENARGUES - Maximes et réflexions, 373
Cette langue, je la voulus plus pauvre encore, plus stricte, plus épurée, estimant que l'ornement n'a raison d'être que pour cacher quelque défaut et que seule la pensée non suffisamment belle doit craindre la parfaite nudité.
ANDRÉ GIDE - Feuillets, in Journal 1889-1939, Pl., p. 347
If we write and speak clearly, we are likelier to think clearly and to remain comparatively free.
(Nous serons plus à même de garder les idées claires et l'esprit relativement indépendant si nous écrivons et parlons clairement.)
E.M. FORSTER – Two Cheers for Democracy – p. 72
Tout écrivain, pour écrire nettement, doit se mettre à la place de ses lecteurs [...] et se persuader ensuite qu'on n'est pas entendu seulement à cause que l'on s'entend soi-même mais parce qu'on est en effet intelligible.
JEAN DE LA BRUYÈRE - Les Caractères, i, 56
Il ne faut pas trop compter sur la sagacité de ses lecteurs; il faut s'expliquer quelquefois.
ANTOINE DE RIVAROL - Notes, pensées et maximes, i, p. 75
Leurs ouvrages [des Anglais], qu'on ne lit pas sans fruit, sont trop souvent dépourvus de charmes, et le lecteur y trouve toujours la peine que l'écrivain ne s'est pas donnée[...]
ANTOINE DE RIVAROL - Dict. universel de la langue franç., p. 19
Il me semble superflu de démontrer ici l'importance de la ponctuation. Elle rend la pensée plus claire; en découpant la phrase en ses différents éléments qu'elle met en valeur, elle lui donne son sens et son rythme [...] Mal ponctuer, c'est négliger sans profit la présentation de son texte, c'est par là même manquer d'égards envers son lecteur.
RENÉ GEORGIN - Prose d'aujourd'hui, p. 205