La nation garantit l'égal accès de l'enfant et de l'adulte à l'instruction, à la formation professionnelle et à la culture. L'organisation de l'enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l'État.
Constitution du 27 oct. 1946, préamb.
Et d'abord pourquoi confier l'instruction à la machine de l'État?
La pensée spontanée donnerait plutôt la préférence à une conception civile de l'école. Le contact nécessaire entre la masse de la population et l'instruction pourrait être assuré par des «services», dus pour la plupart à l'initiative privée ou à celles des collectivités locales, éventuellement encouragée et subventionnée par la puissance publique. On aurait alors affaire à un modèle civil, éclaté, décentralisé, l'ensemble étant soumis à un marché réglé par la demande des usagers et les capacités locales.
Une telle organisation, outre qu'elle compte sur la bonne volonté des agents sociaux, présente des défauts importants: dispersion, gaspillage, utilitarisme étroit, inégalité géographique et sociale. Mais son défaut le plus grave vient de ce qu'elle raisonne uniquement en termes de société, et non en termes de droits: elle ne voit que des volontés particulières (celle du village, du groupe socioprofessionnel, de la région...) et demeure aveugle au citoyen pris en lui-même.
Or, s'en remettre au dynamisme de la société civile reviendrait à installer l'inégalité de principe. Inégalité épistémologique, car des pans entiers du savoir seraient condamnés sous prétexte d'«inutilité». Inégalité juridique, puisque les «services» dépendant des données locales et des circonstances économiques, n'auraient pas d'homogénéité territoriale: un citoyen pourraient n'avoir pas les mêmes droits qu'un autre.
Il ne suffit donc pas de s'adresser à tous de façon statistique; il faut s'adresser à tous de façon universelle [...]
CHARLES COUTEL et CATHERINE KINTZLER - Préface aux Cinq mémoires sur l'instruction publique de Condorcet